Dans la tour de contrôle, c’est le branle bas de combat. Lors de la phase d’approche, le pilote d’un Airbus A320 vient de signaler par radio une grave avarie moteur. Après un atterrissage chaotique, l’appareil s’immobilise en bout de piste. Son réacteur gauche est en flammes. Au poste de pompiers de l’aéroport, les sirènes hurlent. Prévenu par le contrôleur aérien, le chef de manœuvre alerte ses troupes. « Intervention immédiate. Zone B Piste 2. Incendie moteur avec fuite de kérosène. » Le temps est compté. Les soldats du feu n’auront que quelques minutes pour circonscrire le sinistre et évacuer les 145 passagers de l’appareil en péril. Deux véhicules d’intervention s’élancent sur la piste avant de se positionner autour de l’avion.
Depuis 8 heures du matin, c’est le cinquième accident de ce type. Mais pas d’inquiétude. Ici, les catastrophes sont simulées.
Le transport aérien reste d’ailleurs l’un des plus sûrs qui soient. Selon l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), le taux d’accidents mortels avoisine ces trois dernières années 1 vol sur 2,5 millions. Mais les sorties de piste et les atterrissages ratés ne sont pas rares. Le 29 mars 2013 à Lyon St Exupéry, un A321 de la compagnie Air Méditerrannée quittait la piste sur plus de 300 mètres, n’occasionnant aucun blessé parmi les 174 passagers et 7 membres d’équipage. L’intervention rapide des pompiers et secouristes a été cruciale. Selon l’Agence européenne de la sécurité aérienne, 12 pourcents des accidents d’avion se déroulent au sol, lors des phases de roulage. Le plus meurtrier de l’histoire de l’aviation s’est d’ailleurs produit au sol : le 27 mars 1977 à l’aéroport de Tenerife aux Iles Canaries, un Boeing 747 de la Pan Am est entré en collision avec un autre 747 de la compagnie KLM, causant la mort de 583 personnes.
C’est sur le terrain du Centre de Formation des Pompiers d’Aéroport (C2FPA), près de Châteauroux que cinq cents hommes en postes dans les aérogares de la France entière viennent s’entraîner chaque année depuis 2007. « Qu’ils soient postés à Roissy, Dinard, Lyon ou Ajaccio, les 1500 pompiers d’aéroports que compte le territoire viennent suivre ici leur formation initiale ou entretenir leur pratique », raconte Jean-Michel Azémar, directeur du centre. Sur près de 15 hectares, des équipements de pointe ont été installés : un A 320 et un Boeing 747 factices grandeur nature, des zones de «feu de nappe» qui simulent le kérosène répandu sur le tarmac, sans oublier une piste destinée à l’apprentissage de la conduite en terrain difficile. « La configuration de certains aéroports rend parfois très délicat l’accès à un appareil sorti de piste », explique Franck Kosel, instructeur au centre. Ici, les pompiers disposent des mêmes camions de dernière génération que dans leur aéroport d’origine. Très maniables, ils permettent d’atteindre rapidement le lieu du crash. Chaque véhicule dispose d’une cuve de 9000 litres d’eau et de 250 kilos de poudre d’extinction.
Le réalisme est saisissant. Bien que contrôlées, et générées par des brûleurs à gaz, les explosions sont impressionnantes. Et les soldats du feu les prennent très au sérieux : « ça a beau être un exercice, le feu reste dangereux, détaille Franck Kosel. Nous devons être aussivigilants que lors d’une authentique manœuvre pour éviter les blessures ». Les simulateurs mis en place, un Boeing 747 et un Airbus A320, fonctionnent grâce à un ingénieux système lance-flammes pilotés à distance par le formateur à l’aide d’une télécommande. Des dispositifs que ce dernier peut éteindre à tout moment en cas de problème, contrairement aux pratiques traditionnelles. Pour s’entraîner, les pompiers enflammaient auparavant des morceaux de carlingues usagées avec du kérosène. Ce qui présentait un risque non négligeable. « Les simulateurs reproduisent fidèlement l’ensemble des avaries, explosions et incendies susceptibles de se produire en cas d’accident », explique Franck Kosel. Les hommes doivent apprendre à placer en quelques secondes leur véhicule dans le secteur le plus adapté selon le type de sinistre, pour intervenir tantôt sur le train d’atterrissage, sur un moteur en flammes, ou sur la cabine. Ils sont aussi parfois contraints à monter à bord d’un appareil en feu pour y secourir les blessés immobilisés ». Un milieu hostile et exigu qu’il s’agit d’évacuer en urgence, dans une fournaise qui peut atteindre
1200 degrés…
« Nous formons aussi les hommes à intervenir en amont, sur les risques liés aux animaux sauvages », précise Jean-Michel Azémar. Parmi ceux-ci, les volatiles qui s’engouffrent dans les réacteurs représentent un réel danger pour la sécurité des vols. Les pompiers doivent donc les éloigner des pistes lorsque c’est possible. « Nous utilisons des engins à déflagration, ou nous diffusons des cris destinés à les effrayer, explique Martial Jaudray, pompier en poste sur l’aéroport de Dinard. En dernier recours, nous les chassons au fusil ».
Par ailleurs, un authentique Boeing 747-200, cédé par Air France en 2009, fait partie de l’étonnant arsenal du site. L’engin a été équipé pour les simulations d’évacuation de passagers blessés. Doté de hauts parleurs qui diffusent des cris de victimes, de femmes ou d’enfants terrorisés, il permet de reproduire l’atmosphère stressante des interventions réelles. « Durant leur carrière, les pompiers d’aéroports ne seront souvent amenés à traiter que des incidents mineurs, des échauffements de dispositif de freinage, ou des malaises, raconte Franck Kosel. Mais le jour où un accident majeur arrive, il est essentiel qu’ils soient prêts, et qu’ils puissent enchaîner les manœuvres en un temps record. Ce que nous leur apprenons ici, c’est précisément à s’adapter à l’imprévisible. »
©Hervé Bonnot